CHAPITRE PREMIER
Brasdin passa sa tête dans l’entrebâillement de la porte. Assis devant une petite table, dans la minuscule cabine qui servait à la fois de salon, de salle à manger et de fumoir, Joe Koel, le commandant du Pluhuc et Rad Bissis, son second, buvaient du tila tout en mangeant des espèces d’amandes grillées.
— Quoi ? demanda Joe. Qu’est-ce que tu veux ?
— Je ne vous dérange pas ? fit Dob Brasdin, qui était timide et redoutait les colères de Koel.
— Est-ce qu’on dérange les gens quand ils sont en train de boire du tila ? En veux-tu un verre ? Alors, qu’est-ce qui se passe ?
— J’en veux bien un verre, capitaine, dit Brasdin.
Il se servit lui-même, but lentement la liqueur vénusienne, à la fois âpre et douce, croqua une amande grillée et dit :
— Ma foi, je me demande, capitaine, si ça valait bien la peine que je vous dérange ?
— Maintenant que c’est fait, parle… Tu connais d’ailleurs la consigne… Me signaler tout ce qui peut paraître suspect.
Le capitaine Joe Koel, qui était un mince homme roux, d’une cinquantaine d’années, au visage osseux, à la fois bourru et cordial, se montrait assez nerveux depuis que la présence de durups avait été détectée dans la ceinture d’astéroïdes par le Gaurisankar. Rencontrer une dizaine de durups isolés n’est pas trop grave, mais en rencontrer cinquante ? En rencontrer cent ? En rencontrer un millier comme cela était arrivé au Balmhuc la semaine précédente ? Le Balmhuc avait juste eu le temps de signaler ce qui lui arrivait au Gaurisankar. Après quoi, on n’avait plus jamais entendu parler de lui.
Vraiment, ce n’était plus une sinécure que de faire partie des patrouilles de sécurité entre Verga V et Ola. Même un astronef porte-destroyers aussi énorme et aussi puissant que le Gaurisankar, malgré ses armements redoutables, ses projecteurs de flux Gamma, ses écrans de radiations protectrices, n’était pas totalement à l’abri du danger. Mais que dire d’une coquille de noix comme le Pluhuc ?
Si encore Verga V et Ola avaient été des planètes intéressantes où on aurait pu passer gaiement et confortablement les journées de repos… Mais Joe ne connaissait rien d’aussi déshérité et d’aussi morne à quinze années-lumière à la ronde. Des planètes qui semblaient avoir été oubliées lors de la distribution des biens de ce monde. Un climat déplorable, surtout sur Verga V, où il faisait trente degrés au-dessous de zéro sur le continent le plus chaud, et pendant la belle saison. La colonie humaine ne comptait guère que dix mille personnes réparties en vingt endroits. Le plus chic, qu’on appelait la capitale, Forkham, consistait en une quinzaine de vastes baraquements métalliques pourvus – heureusement – du chauffage atomique, et où l’on trouvait un restaurant, un bar et même un théâtre, mais qui ne jouait que très occasionnellement. La seule distraction était la télévision et la chasse au misor. Tout compte fait, il valait mieux passer ses journées de repos à bord du Gaurisankar. Mais ce n’était pas drôle non plus, car il n’y avait pas de femme sur le porte-destroyers. Et vivre perpétuellement entre hommes…
Dob Brasdin hésita.
— Ça ne m’a pas l’air très suspect. En tout cas, il ne s’agit certainement pas d’un durup. Mais je ne sais pas ce que c’est…
Le capitaine eut un sourire.
— Les objets difficiles à identifier ne manquent pas dans l’espace. Retourne à ton poste… Quand tu auras une idée un peu plus précise, tu viendras m’en faire part.
Brasdin hésita.
— C’est que, chef…
— Quoi donc ?…
— C’est que nous avons déjà dépassé l’objet en question. Je n’ai fait que l’apercevoir un instant sur le radar. Nous avons dû passer tout près de lui…
Il fut interrompu par l’arrivée de Loi Glam, le télégraphiste.
— Excusez-moi, capitaine…
— Qu’est-ce encore ? Un message du Gaurisankar ?
— Non, capitaine. Un message, mais complètement incompréhensible…
— Qu’est-ce que tu me chantes là ?
— La vérité… J’ai pris ça, il y a cinq minutes et j’ai essayé de le déchiffrer… Mais va te faire fiche ! Ça ne se rapproche d’aucun code connu… Jugez vous-même…
Il tendit une bande perforée au capitaine.
— Voilà ce que ça donne en graphie… Et si vous voulez entendre le son…
Il brancha la bande sur un petit magnétophone qui reposait sur un rayon et mit l’appareil en marche. Une succession de sons assez doux, monotones, plus ou moins espacés, se fit entendre.
— Je n’ai jamais rien entendu de pareil, dit Rad Bissis, l’officier en second.
— Ça ressemble un peu quant à la cadence, dit Joe Koel, à l’ancien morse, un mode de transmission pratiqué dans l’Antiquité. Mais pour dire ce que ça signifie…
— L’émetteur, reprit Loi Glam, ne devait pas être très éloigné de nous au moment de la transmission. Il ne devait pas, non plus, être bien puissant… C’est tout juste si au début j’entendais quoi que ce fût… Ensuite, ça n’a été net que pendant deux ou trois minutes… Puis ça s’est évanoui assez rapidement…
— Encore un truc des durups ? demanda Rad Bissis, qui était nouveau dans le secteur.
— Sûrement pas, dit Glam. On n’a pas déchiffré tous les codes des durups, mais on les reconnaît fort bien. Il leur arrive aussi de lancer toutes sortes de sons bizarroïdes pour troubler nos messages. Mais ça aussi, ça porte leur marque, et je le sens à l’oreille et à la graphie.
— Glam a raison, dit le capitaine. Jamais rien vu ni entendu de semblable moi non plus. Je me demande ce que ça peut bien être. Mystérieux… Tout à fait mystérieux.
Il se tourna vers Brasdin.
— Ce doit être en rapport, Dob, avec ce machin que tu n’as pas pu identifier. Il faut tirer ça au clair. Tu as vu ça, naturellement, sur le radar faible distance…
— Bien entendu, dit l’observateur. C’est le seul que je fais marcher en ce moment. Nous n’avons pas dû passer à plus de deux cents kilomètres de cet objet. Et il était de très petite dimension.
— Tu es sûr qu’il ne s’agit pas d’une météorite ?…
— Absolument… Aucune des caractéristiques qu’ont ces dernières… Mais quelques-unes de celles qu’ont parfois les durups. Ce n’était toutefois pas un durup non plus… Un durup isolé est toujours bon à démolir et j’aurais prévenu le pilote avant même de vous alerter.
Le capitaine réfléchit un instant.
— Il faut faire demi-tour, dit-il. Nous ne pouvons pas laisser passer sous notre nez un mystère qui est peut-être de première grandeur sans tenter de l’éclaircir. Nous serions bien vus sur le Gaurisankar ! Dépêchons…
Il gagna la minuscule cabine de pilotage où se tenait Fed Giri, un garçon blond qui avait l’air embarrassé de ses grands bras et de ses grandes jambes.
— Nous virons, Fed… Nous sommes passés devant un trésor sans nous en apercevoir.
Le pilote mâchait placidement une boulette de grugru, un produit originaire d’une planète d’Orion et qui avait avantageusement remplacé le chewing-gum. Il grogna et fit signe de la tête qu’il avait compris. L’opération n’était pas très compliquée. Dans l’archipel des astéroïdes, les petits destroyers qui patrouillaient à la recherche des durups n’atteignaient jamais de très hautes vitesses. Mais ces petits astronefs, qui n’avaient que huit à dix hommes d’équipage, étaient très souples, très mobiles et très bien armés.
Fed Giri toucha quelques manettes sur le tableau de bord, vérifia ses coordonnées et demanda au capitaine :
— On rentre à bord du Gaurisankar ?
— Non pas… Nous cherchons un corps bizarre qui se promène dans le voisinage et qui émet des signaux mystérieux.
— Ah ? dit Fed, sans manifester un gros intérêt.
— Oui… Brasdin te guidera quand il aura de nouveau repéré ce curieux gibier qui doit maintenant être situé quelque part entre l’astéroïde 724 et l’astéroïde 721.
— Je vois, dit Fed.
Et il alluma nonchalamment une cigarette munie d’un brûleur spécial.
*
* *
Le capitaine Joe Koel – qui se donnait volontiers des airs un peu cyniques, voire un peu durs, mais qui au fond était un excellent homme – ne se sentait qu’à moitié rassuré par la découverte que venaient de faire simultanément l’observateur et le radiotélégraphiste. Il se demandait si ce n’était pas malgré tout un nouveau piège des durups, et il aurait préféré passer au large.
Les cent cinquante heures réglementaires de patrouille s’achevaient. Dans huit heures, ils auraient dû normalement se poser sur la planète Verga V. Ce n’était pas folichon, mais cela valait tout de même mieux que de poursuivre des durups dans le labyrinthe des astéroïdes – avec le risque permanent de faire explosion. Et voici maintenant qu’un nouveau problème se posait. Un corps qui émet des signaux, même incompréhensibles, mérite la plus grande attention. Il allait falloir ouvrir l’œil.
Dix minutes s’écoulèrent. Joe Koel avait regagné la petite cabine où était resté son second. Les patrouilleurs, s’ils étaient aménagés pour l’efficience, l’étaient fort peu pour le confort. C’est à peine si l’on pouvait se tourner à bord du Pluhuc. Plus de la moitié du vaisseau était un arsenal pourvu des engins les plus modernes et les plus meurtriers : torpilles B, qu’on appelait les flèches de Satan, rayons Gamma, réseaux paralyseurs et autres joujoux du même genre.
Le capitaine décrocha son téléphone et appela les deux « artilleurs » du destroyer :
— Tenez-vous en alerte, dit-il. Nous allons bientôt approcher d’un objet suspect. Mais ne tirez que sur mon ordre.
— Vous croyez qu’il pourrait y avoir quelque danger ? demanda Rad Bissis.
Le second était un jeune homme de vingt-deux ans au plus, grand, mince, châtain, beau garçon, avec des joues roses, de belles dents blanches. Il avait rejoint le Gaurisankar un mois plus tôt, et c’était sa première sortie. Il venait d’achever ses études d’astronaute.
Il avait été volontaire pour participer à cette patrouille. Il voulait s’instruire. Il avait un goût assez romantique pour l’aventure.
— Le danger, dit Koel, est notre pain quotidien.
— Est-il fréquent que l’on recueille des messages dont on ne puisse même pas déceler l’origine ?
— Certes pas… C’est la première fois que ça m’arrive personnellement, mais cela s’est déjà produit il y a dix ans – au moment des grandes explorations de planètes dans le secteur 112 de la galaxie. Des astronefs de transports ont recueilli des messages assez longs que l’on n’a jamais pu déchiffrer depuis… On n’a jamais su quelle était leur source.
— Espérons que nous aurons plus de chance, dit le jeune homme…
— En attendant de parler de chance, c’est un risque qu’il nous faut envisager.
— Je suis heureux de l’affronter avec vous, capitaine.
Le capitaine Koel eut un large sourire. Il était très sensible à ce genre de compliments. Il en fut d’autant plus touché qu’il le sentait sincère.
— Bon, bon, dit-il. Je sais que vous êtes courageux et compétent. J’ai vu vos notes, qui sont excellentes. Aussi bien, n’est-ce pas le courage que j’aurai à vous enseigner, mais autre chose…
— Quoi donc, chef ?
— La prudence.
*
* *
Dix minutes plus tard, Koel décrocha le petit téléphone dont la sonnerie venait de grésiller.
— Ah ! C’est vous, Brasdin. Alors ?
— Chef, l’objet vient d’apparaître de nouveau sur mon écran. Si vous voulez voir ça vous-même…
— Je viens…
Le capitaine se tourna vers son second.
— Venez aussi, Rad.
Ils gagnèrent la cabine d’observation, qui n’était d’ailleurs qu’à quelques pas. Deux hommes pouvaient s’y mouvoir à peu près à l’aise, mais pas trois. Bissis demeura dans l’entrebâillement de la porte.
Sur l’écran, entre deux masses à peine perceptibles, et qui devaient être l’astéroïde 724 et l’astéroïde 721, se détachait un point plus clair et qui émettait un curieux petit rayonnement.
— Bizarre, dit Koel. Ce n’est évidemment pas un durup. Ce n’est pas non plus une météorite. Pas davantage un de nos patrouilleurs, ni même un astronef de quelque catégorie que ce soit.
— C’est bien ce que je vous disais, chef, fit Dob Brasdin.
Koel observait le petit point lumineux et réfléchissait.
— Bizarre, reprit-il. Je n’ai jamais rien vu de semblable.
Comme il achevait sa phrase, Loi Glam, le radiotélégraphiste, apparut dans l’étroit couloir.
— Ça recommence, dit-il. Je reçois de nouveau des signaux incompréhensibles…
— Je n’en suis pas surpris, dit Koel. Ils émanent sûrement de ce… de cet objet… Il faut aller voir ça de plus près. Conservez précieusement les bandes d’enregistrement… Elles pourront être utiles… Plus tard…
Il passa dans la cabine de pilotage, toujours suivi de Rad Bissis.
Fed Giri, le pilote, eut un regard interrogateur.
— Oui, lui dit Koel. On a retrouvé le corps mystérieux… Il lance toujours des messages… Continue dans la même direction, en ralentissant la vitesse… Brasdin te guidera quand nous serons plus près…
— Bon, dit Giri, sans enthousiasme.
Et il manœuvra quelques manettes.
Dix minutes s’écoulèrent. Le capitaine et son second avaient regagné la cabine de séjour. Ils attendaient. Bissis eut l’impression que son chef était un peu nerveux, plus nerveux que lorsque leur petit destroyer avait rencontré, la semaine d’avant, près de l’astéroïde 680, un groupe de vingt ou trente durups qui d’ailleurs s’étaient enfuis à leur approche.
Le téléphone grésilla.
— Brasdin ? demanda Koel.
— Oui. C’est moi… Nous sommes assez près maintenant de l’objet pour que je puisse faire des observations plus précises. C’est un objet minuscule… Pas plus d’une tonne… Et un très faible volume.
— Non ! s’exclama Koel. Ce n’est pas possible… Pour émettre un pareil rayonnement, à la distance où nous étions de lui il y a dix minutes, il aurait fallu un durup, ou un astronef, ou une énorme météorite. Tu es sûr de ne pas te tromper ?
— Venez vérifier vous-même, chef.
— Inutile. Tu connais ton métier… Et si tu ne rêves pas…
— Je suis bien éveillé, capitaine.
— Bon, bon. Mais c’est effarant… Jamais rien vu de pareil. La distance ?
— Pas plus de cinq cents kilomètres… Nous marchons maintenant à une vitesse très réduite. Pas plus de dix mille kilomètres à l’heure, vient de me dire Giri… Et comme l’objet lui-même, d’après mes derniers calculs, se déplace exactement dans la même direction que nous, à environ huit mille kilomètres à l’heure, nous l’aurons rejoint dans une quinzaine de minutes.
— Bon. Surveille ça de près.
Koel et Bissis retournèrent dans la cabine de pilotage. En passant devant le réduit où opérait Loi Glam, ils lui demandèrent s’il avait du nouveau.
Le radiotélégraphiste était penché sur ses appareils.
— Ça continue, dit-il. C’est même de plus en plus net. Mais toujours aussi incompréhensible. J’ai toutefois l’impression qu’il s’agit d’un message assez court, mais répété indéfiniment. Quelque chose comme un S.O.S.
— Bizarre, dit Joe Koel.
Dans la cabine de pilotage, le capitaine s’assit à côté de Fed Giri tandis que Rad Bissis restait debout.
— Vous avez pu identifier la chose ? demanda Giri.
— Identifié peau de balle ! fit Koel avec humeur. Et je donnerais bien trois mois de traitement pour savoir exactement de quoi il en retourne.
— Pas drôle, dit Fed. Moi qui pars la semaine prochaine pour une permission de six mois…
Le capitaine se mit à rire.
— Ne pleure pas, mon petit… Si nous découvrons quelque chose de sensationnel, on te donnera trois mois de permission supplémentaire, et une médaille par-dessus le marché.
— Sensationnel ! fit Giri. Comme si les durups n’étaient déjà pas assez sensationnels !
Ils se turent, et pendant quelques minutes demeurèrent silencieux. Puis Koel se leva et alla jeter un coup d’œil dans les grosses jumelles électroniques qui se trouvaient à gauche du tableau de bord.
— Vous voyez quelque chose ? demanda Rad Bissis.
— Non. Rien. Allez voir chez Brasdin si nous sommes bien toujours dans l’axe de l’objet… Et à quelle distance…
Rad sortit et revint un instant plus tard.
— Parfaitement dans l’axe, dit-il. Distance environ cent cinquante kilomètres.
— Je ne vois toujours rien… Mais c’est un peu comme si on voulait voir une puce à vingt kilomètres avec des jumelles de théâtre.
Le capitaine reprit place à côté du pilote, et lui dit :
— Ralentis encore un peu.
Giri toucha la manette qui actionnait les tuyères de freinage. Et ils attendirent, silencieux, les nerfs tendus.
Au bout d’une minute, Rad Bissis alla à son tour regarder dans les jumelles électroniques.
— Je vois un point, dit-il, un point légèrement lumineux, et de couleur rosâtre.
Il céda la place au capitaine. Celui-ci resta un moment sans rien dire.
— Oui, fit-il, ce doit être ça. Brasdin avait raison, c’est minuscule. Mais visiblement ça n’a pas de lumière propre, ce qui n’empêche pas que c’est peut-être terriblement radioactif… Reprenez ma place, Rad. J’ai l’impression que vous avez de meilleurs yeux que moi…
La tête de Brasdin parut dans l’entrée.
— Nous approchons de l’objet, dit-il. Mais, chose curieuse, le rayonnement qu’il émet a plutôt faibli.
— Bizarre ! dit Koel.
C’était au moins la dixième fois qu’il prononçait ce mot-là, et il n’avait pas fini de le prononcer.
Lol Glam apparut lui aussi.
— Les mystérieux messages, annonça-t-il, viennent de cesser.
Bissis fit un geste de la main.
— L’objet grossit, fit-il. Il a une forme oblongue. Il est de couleur rose, avec des reflets bleuâtres.
— Tout ça ne me dit rien qui vaille ! s’exclama Giri, qui pensait à sa permission, et à la fiancée qu’il devait retrouver sur la planète Bohn, d’où il était originaire.
Le capitaine regarda.
— Oui, fit-il au bout d’un moment. Ça me rappelle quelque chose. Mais je ne sais fichtre pas quoi.
Bissis reprit l’observation aux jumelles, et il y eut encore une minute de silence un peu oppressant. Brasdin et Glam étaient retournés à leurs postes. Puis trois faits se produisirent en même temps : le téléphone grésilla, Glam reparut dans l’entrée, et Bissis s’exclama :
— On dirait… on dirait un scaphandre spatial !
Glam déclara :
— Les messages viennent de reprendre… Mais ils sont faibles…
— Un scaphandre ? s’écria le capitaine Koel.
Et il décrocha le téléphone. Brasdin lui dit :
— Le rayonnement de l’objet recommence, mais n’est pas aussi intense que tout à l’heure. Il est maintenant à cinquante kilomètres, et à environ trois cents kilomètres de l’astéroïde 724, dont nous approchons nous-mêmes.
*
* *
Les quatre ou cinq minutes qui suivirent furent, pour les quelques hommes qui étaient à bord du Pluhuc, des minutes particulièrement intenses, marquées par la curiosité et l’inquiétude. Le téléphone grésilla de nouveau dans la cabine de pilotage. C’était Loi Bohar, un des deux artilleurs du destroyer, qui appelait. Il demanda à Koel :
— Qu’est-ce qu’on fait, chef ? Nous voyons maintenant très bien l’objet dans nos jumelles électroniques. On le démolit ?
— Jamais de la vie ! hurla Koel. C’est un scaphandre. Il faut voir ce qu’il y a dedans…
— Et s’il nous démolit, nous, avant que nous soyons sur lui ?
— C’est un risque à prendre… Ne faites rien avant que je vous en donne l’ordre.
— Ils ont peut-être raison, dit Giri… Un scaphandre dont les messages peuvent être captés à quinze cents kilomètres, on n’a jamais vu ça…
— Raison de plus, fit Koel sur un ton de colère, pour savoir de quoi il en retourne… Et j’irai voir ça moi-même… Avec un volontaire…
— Moi, dit Bissis. Je vous accompagnerai.
— Pas vous, Rad. Vous êtes mon second, et le second doit rester à bord.
— Alors, laissez-moi y aller avec un volontaire. Dob Brasdin, qui est mon ami d’enfance, voudra certainement m’accompagner.
Koel regarda le jeune homme avec amitié :
— Vous y tenez vraiment ?
— Ça me ferait plaisir, capitaine… Et je suis sûr que Dob Brasdin aimerait être de la partie…
— Bon… Alors, allez vous mettre en tenue tous les deux. Et n’oubliez pas de passer la combinaison antiradiations avant de revêtir le scaphandre spatial. On ne sait jamais… Et soyez prudents…
Tandis que le second quittait la cabine, Koel retourna coller ses yeux aux jumelles électroniques. L’objet était maintenant parfaitement visible – comme s’il eût été à une cinquantaine de mètres. C’était bien un scaphandre spatial, et dans lequel devait se trouver un être vivant, mais un scaphandre d’un modèle que le capitaine ne connaissait absolument pas. Il semblait beaucoup plus lourd, beaucoup plus épais que ceux dont se servaient les astronautes humains. Pourtant, il affectait une forme humaine. Sa couleur était rouge et il semblait fait, plutôt que de métal, d’une curieuse matière plastique.
Il flottait dans le vide et semblait immobile. En fait, pratiquement, il se déplaçait dans l’espace à une vitesse à peu près semblable à celle du petit destroyer. De loin en loin, un rayonnement bleuâtre émanait de la partie du scaphandre qui recouvrait la poitrine – ou le dos – de son occupant, si celui-ci était un être humain. Mais ce devait être, en tout cas, une créature intelligente…
— Bizarre, bizarre, répétait Koel.
— Encore une invention des durups, fit le pilote.
— Je ne crois pas… Cela ne leur ressemble pas… Mais je me demande ce que ce scaphandre peut bien faire là tout seul… Et avec quelqu’un de vivant à l’intérieur… Le radar, depuis quarante-huit heures, n’a révélé la présence d’aucun astronef…
Koel avait beau réfléchir, il ne parvenait pas à comprendre.
Les scaphandres humains même les plus perfectionnés disposaient d’une réserve d’oxygène et de chaleur qui ne leur permettait une autonomie que de sept à huit heures. Leurs appareils de radio, qui leur servaient à communiquer entre eux ou avec leur astronef – ou avec leur base, quand ils opéraient au sol sur une planète inhospitalière – n’avaient pas une portée de plus de cent kilomètres, qui était d’ailleurs largement suffisante pour ce qu’on exigeait d’eux.
Le capitaine quitta la cabine, s’arrêta chez Glam, qui lui dit que les messages continuaient, mais semblaient maintenant plus longs, et il se rendit, à l’arrière du destroyer, dans la salle des scaphandres. Rad Bissis était en train de visser sur la tête de Brasdin un gros casque sphérique muni d’un verre épais. Sa propre tête était encore à l’air libre.
— On approche ? demanda-t-il.
— On approche.
— Et qu’est-ce qu’on fait ? On prend à bord cet étrange naufragé ?…
— Minute, dit Koel. D’abord, nous ne savons pas si c’est un naufragé. Cette créature n’a peut-être pas d’autre façon de se promener que dans un scaphandre. En outre, il faut s’assurer si elle n’est pas radioactive… N’oubliez pas le détecteur… Si elle est radioactive, tout ce que nous pourrons faire, ce sera d’essayer de la remorquer. Dans le cas contraire, nous la prendrons peut-être à bord… Pendant toute l’opération, restez en communication étroite avec moi.
— Bien, capitaine… Voulez-vous m’aider à ajuster mon casque…
Loi Glam surgit dans la salle et dit :
— Giri m’envoie vous prévenir que nous sommes maintenant à proximité de l’oiseau rare et allons à la même vitesse que lui. Il a coupé tous les moteurs. Nous dérivons à la même vitesse. Nous ne sommes pas à plus de cent cinquante mètres de lui. Il continue à émettre des signaux. Je me demande à qui ils peuvent bien être destinés…